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Muriel Barbery, Une rose seule

  • chroniqueslitterai
  • 25 août 2020
  • 2 min de lecture



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« Rose, ô pure contradiction… » [1]


Pivoines, azalées et œillets, éclats rouge sang et mauves accueillent Rose à son arrivée à Kyoto. La Française, botaniste de son état, honore les dernières volontés de son père, marchand d’art japonais qui lui a laissé un mystérieux testament assorti d’un parcours initiatique à travers les temples de la ville. Perplexe et un peu maussade, elle se laisse finalement guider par Paul, assistant et ami de son défunt père Haru.


Était-ce l’enfance perdue ?


Rose mélancolique, presque capricieuse, se souvient de ses morts, et de l’enfance à laquelle elle n’a jamais vraiment goûté ; vite noyée dans l’eau glacée de ses cauchemars, absorbée par la tristesse infinie de sa mère. La beauté du monde, elle la voit et ne la ressent pas : ainsi s’échappe l’essence des fleurs.


Était-ce le thé matcha ?


Les mets du pays et la résurgence d’un goût perdu se chargent d’une initiation. Paradoxe non résolu : combien de plats japonais ont cette caractéristique d’être presque dépourvus de goût, et comment cette absence peut-elle simultanément se muer en délice ? Le vide appelle-t-il une autre forme de plénitude ? Cette énigme culturelle et gastronomique éveille l’intérêt de Rose pour la beauté de Kyoto, qui s’impose au fil des pages.


« Naviguer en mers intérieures »


Les jardins secs de la cité sont des lieux « où les dieux viennent prendre le thé » : le parcours de Rose entre les mousses et les pierres est également un jeu, initié par des démons joyeux. La beauté minérale des jardins lui dévoile une tension dynamique, entre simplicité et raffinement, espoir d’un tout et réduction à presque rien. Est-ce l’art du détour qui, d’un temple à un autre, enseigne à Rose que la vérité naît de manière oblique, que l’intercession de Paul est nécessaire, que la splendeur va se mêler, inéluctablement, à la douleur vive ?


Le Japon de Rose est un chant subtil et délicieux, un hymne sobre et lumineux à la « limpidité, liquidité immobile, primitive ». Le poème en prose qu’est aussi ce roman trace un parcours humain, délicate estampe faite d’épreuves et de dépassements : le portrait de celle qui danse avec ses ombres, de celle qui prendra dans ses mains « le cœur noir étincelant des fleurs » (Yves Bonnefoy).

[1] D’après l’épitaphe du poète Rainer Maria Rilke : « Rose, oh reiner Widerspruch, Lust, Niemandes Schlaf zu sein unter soviel Lidern », traduite par Yves Bonnefoy : « Rose, ô pure contradiction, joie/ De n’être le sommeil de personne sous tant de paupières ».

Muriel Barbery, Une rose seule, Paris, Actes Sud, août 2020.

Gwenaëlle Ledot.




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