Littérature - Chroniques littéraires
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Christian Gailly
Auteur
Christian Gailly est né à Paris en 1943. Il a exercé différents métiers dont celui de musicien de jazz, saxophoniste, avant de se consacrer à l’écriture et de publier son premier livre en 1987, Dit-il. Il a obtenu le prix France Culture pour Nuage Rouge en 2000 et le prix du Livre Inter en 2002 pour Un soir au club. Deux de ces romans ont été adaptés au cinéma : L’Incident par Alain Resnais sous le titre Les Herbes folles (2009) et Un soir au club par Jean Achache (2009). Il est mort en 2013.
Source : http://www.leseditionsdeminuit.fr/auteur-Gailly_Christian-1419-1-1-0-1.html

Christian Gailly, Les oubliés
Christian Gailly ou la substance de l’absent. Le dernier roman de Christian Gailly est placé, dès l’épigraphe, sous l’égide de Beckett : « C’est tuant, les souvenirs ». Beckett, ou la non-communication érigée en principe dramatique. La folie de ceux qui, intarissables, voudraient, désespérément, converser :
"Toutes les voix mortes
Ça fait un bruit d’ailes
De feuilles
De sable. De feuilles."
Et, chez Gailly, l’insignifiance érigée en principe narratif. Les personnages n’y sont plus rien ; ils sont là. Tout juste, encore. Les mots aussi s’en vont ; les phrases souvent nominales, peu apparues. La prose tente simplement de concurrencer le Rien. Pas si simple. Ou concurrencer Beckett. Pas simple, décidément. Là est pourtant la gageure : porter des destins parfois tragiques, parfois drôles, toujours accidentés. Il s’agit ici pour deux journalistes, nommés Brighton et Schooner, d’aller à la rencontre d’artistes oubliés du grand public. Des artistes dont, parfois, dans le souvenir, il ne reste rien. Écrire l’histoire de vides qui se succèdent.
"Non, monsieur, dit Brighton, ça ne s’appelait pas Les Oubliés, ça s’appelait Que sont-ils devenus ? Mais vous avez raison, monsieur. Oui, vous avez raison. Les Oubliés c’est mieux. Plus parlant. Plus émouvant."
L’un des deux journalistes meurt ; bêtement, bien sûr : « Il ne reste rien de Paul Schooner. La goélette s’est évaporée. » Ce tragique-là est aspiré tout entier par l’insignifiance ; par l’ironie. Celle qui accompagne, en contrepoint délicieux, les trajets perdus de nos Vladimir et Estragon :
"Si tu dis non nous risquons d’en mourir tous les trois. Brighton : N’exagérons rien, mais bon, pourquoi pas ? Allons-y comme ça. On verra bien."
On a parlé de la petite musique de Christian Gailly. Je dirais plutôt un bruit de feuilles. De sable. De feuilles…
Christian Gailly, Les oubliés. Editions de Minuit, janvier 2007.
Gwenaëlle Ledot.